La structure et la dynamique interne de la Terre ont un fort impact sur les phénomènes géologiques se produisant à la surface du globe, comme le volcanisme et la tectonique des plaques. Depuis plusieurs années, certains modèles basés sur l’analyse des ondes sismiques proposaient la présence de magmas à plusieurs centaines de kilomètres de profondeur dans le manteau terrestre. Ces magmas pourraient jouer un rôle majeur dans le cycle de certains éléments chimiques à l’échelle planétaire, en particulier l’eau et les alcalins. Une équipe de chercheurs du Laboratoire Magmas et Volcans à Clermont-Ferrand (UCA, CNRS, IRD, UJM)1 a reproduit expérimentalement les conditions régnants à la base du manteau supérieur entre 350 et 410 km de profondeur (soit 12-15 GPa et environ 1400°C). Ils ont observé la fusion partielle des roches mantelliques tout en mesurant in situ la vitesse de propagation des ondes sonores et la conductivité électrique. Les signaux mesurés expérimentalement sont tout à fait compatibles avec les mesures géophysiques, ce qui confirme la présence d’une fine couche partiellement fondue à ces profondeurs, dans le manteau. Ces travaux ont été publiés dans la revue Nature Communications le 19 Décembre 2017.

 

 

La structure interne de la Terre est bien connue dans son ensemble, mais elle réserve encore quelques zones d’ombre. Entre 410 et 660 Km de profondeur, se situe la zone de transition qui est considérée comme le plus grand réservoir d’eau de notre planète (jusqu’à 2 fois la masse des océans) à la faveur de minéraux dont la structure cristallographique permet l’incorporation d’hydrogène. Ces roches ne sont pas piégées dans cette zone indéfiniment, mais bien soumises à des mouvements verticaux associés à la convection globale du manteau terrestre. Leur remontée passive au-dessus de 410 km s’accompagne d’un changement de structure cristallographique du composé principal qui se transforme de wadsleyite en olivine. L’olivine ne pouvant incorporer qu’une relativement faible quantité d’hydrogène, cette transformation de phase entraîne la libération d’eau et la fusion partielle du manteau. C’est précisément ce modèle que les chercheurs ont confirmé par la reproduction à l’identique de la fusion partielle dans les conditions de pression, température et de concentration en eau typiques du manteau terrestre profond.

 

Pourtant, la confirmation expérimentale de ce phénomène n’était pas chose simple. Il fallait d’une part reproduire la fusion, mais surtout mettre en place des sondes internes : la mesure de la conductivité électrique a été utilisée pour la détection in situ de la fusion partielle de l’échantillon, alors que la mesure de la vitesse de propagation des ondes sonores a permis une comparaison directe avec les données géophysiques. Les expériences montrent que la diminution des vitesses sismiques reportées par les sismologues est compatible avec un degré de fusion partielle très faible, de l’ordre d’un pourcent en volume de cette région du manteau. Ceci se produit lorsque la concentration en eau dans le manteau est typiquement de deux grammes par kilogrammes de roche mantellique. L’analyse chimique des magmas produits indique pourtant que ces magmas sont très riches en eau, avec une concentration supérieure à 15%, alors que les basaltes observés à la surface de la Terre n’en contiennent que 2 à 3% ! Les magmas des grandes profondeurs ont aussi une très forte concentration en fer et en éléments alcalins. Avec une telle composition, on estime la densité de ces liquides est similaire à celle des roches du manteau dans la zone de transition. Il est donc fort probable que ces magmas soient gravitationnellement piégés dans une couche située juste au-dessus de la discontinuité à 410 km de profondeur. Une telle hypothèse est tout à fait compatible avec les observations sismologiques.

 

La présence d’une telle couche de manteau partiellement fondu a de grandes conséquences sur notre compréhension de la dynamique interne de la Terre, en particulier sur la ségrégation chimique et la différenciation des réservoirs mantelliques. Ces magmas profonds contiennent non seulement une importante quantité d’eau, mais aussi des éléments dits incompatibles (préférant le liquide au résidu solide). Cette couche de manteau pourrait jouer le rôle de barrière chimique entre la Terre profonde et les parties plus superficielles, laissant le manteau supérieur relativement sec et appauvri. À l’inverse, les magmas stockés dans cette région seront aussi susceptibles de remonter vers la surface de la Terre, si leur densité est affectée par une augmentation locale de la teneur en eau ou de la température. Ainsi, cette portion de manteau partiellement fondu pourrait expliquer certains volcanismes de type point chaud.

 

Figure 1 : Microphotographies des échantillons étudiés montrant les différentes espèces minérales composant les roches ainsi que les fins films de magmas à l’’échelle micrométrique.

Un exemple d’ondes sonore/sismiques mesurées pendant l’expérience a été inséré en noir.

 

Bibliographie

Experimental evidence supporting a global melt layer at the base of the Earth’s upper mantle. Damien Freitas1, Geeth Manthilake1, Federica Schiavi1, Julien Chantel², Nathalie Bolfan-Casanova1, Mohamed Ali Bouhifd1 et Denis Andrault1. Nature Communications. Le 19 Décembre 2017. DOI: 10.1038/s41467-017-02275-9.

[1] Le Laboratoire Magmas et Volcans (CNRS/IRD/Université Clermont Auvergne) fait partie de l’Université Clermont Auvergne, de l’Observatoire de physique du Globe de Clermont-Ferrand, du Centre National de la Recherche scientifique, de l’Institut de Recherche et de Développement et de l’Univiersité Jean Monnet, ² Au département des Sciences environnementales et planétaires (Case Western Reserve University, Ohio, USA)

 

Contacts

Chercheur l Damien Freitas l T 04.73.34.67.23 / 06 46 41 06 68 l damien.freitas@uca.fr

Chercheur l Geeth Manthilake l T 04.73.34.67.34 / 07 83 80 17 35 l geeth.manthilake@uca.fr

Presse INSU-CNRS l Géraldine Gondinet l T 01 44 96 43 36 l geraldine.gondinet@cnrs-dir.fr

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