Une équipe internationale composée d’une chercheuse CNRS du Laboratoire magmas et volcans (LMV), de chercheurs du CEA et de l’Institut de Chimie Séparative de Marcoule (ICSM), du Forschungszentrum de Jülich (Allemagne) et du Oak Ridge National Laboratory (USA), ainsi que des ingénieurs et techniciens CNRS de la plateforme SCALP/JANNuS-Orsay, vient d’expliquer l’apparente résistance à l’irradiation d’un minéral naturellement très radioactif, la monazite. Elle a démontré expérimentalement et pour la première fois dans la monazite, l’existence d’un mécanisme d’auto-cicatrisation des défauts. Ce mécanisme, appelé recuit-alpha, permet enfin d’expliquer pourquoi la monazite n’est jamais à l’état amorphe dans la nature, et ceci indépendamment de son histoire thermique..

Dans la nature, certains minéraux cristallisent en incorporant diverses proportions d’uranium et de thorium. Ces minéraux radioactifs, les plus connus étant le zircon et la monazite, ont une importance considérable en sciences de la Terre puisqu’ils permettent, entre autre, de dater les roches qui les contiennent (radiochronologie U-Th-Pb) et d’apporter des contraintes sur leur histoire thermique (thermochronologie traces de fission et U-Th/He). La monazite (APO4, A = LREE, Th, U, Ca) est également particulièrement étudiée comme matrice pour l’immobilisation du plutonium et des actinides mineurs (MA) issus du retraitement du combustible nucléaire. La raison provient de sa grande flexibilité structurale permettant l’incorporation de fortes concentrations d’actinides, de sa durabilité chimique élevée, et de son apparente résistance aux fortes doses d’irradiation. En effet, au cours du temps l’uranium et le thorium se désintègrent (désintégrations alpha) en libérant particules alpha (4-8 MeV) et noyaux de recul (70-165 keV). L’énergie cinétique de ces deux particules est déposée dans le matériau par deux processus distincts, balistique et électronique. Le processus balistique correspond aux collisions élastiques entre les noyaux atomiques, et le processus électronique à des excitations et des ionisations entraînant une augmentation de la température dans le matériau. L’essentiel des déplacements atomiques pouvant aboutir à l’amorphisation du réseau cristallin (i.e. destruction) sont le fait des cascades de collision provoquées par les noyaux de recul.

Des études antérieures sur les monazites naturelles ainsi que sur des monazites synthétiques dopées au plutonium ont montré la capacité de cette structure à maintenir un état cristallin malgré des niveaux élevés d’endommagement par irradiation (avec des doses jusqu’à 2 ordres de grandeur plus élevées que pour le zircon, qui lui est généralement à l’état amorphe). La raison de cette apparente résistance est restée une énigme jusqu’à ce jour. Même si la très forte propension à la recristallisation de la monazite a été démontrée: températures critique d’amorphisation1 et de recristallisation très basses, respectivement 180 et 300°C environ, ceci ne suffit pas à expliquer pourquoi les monazites naturelles, indépendamment de leur histoire géologique, restent à l’état cristallin même si elles n’ont pas connu d’événement thermique pouvant guérir leurs défauts ?

Cette étude interdisciplinaire (minéralogie, chimie et physique), a été menée par une chercheuse CNRS du LMV, des chercheurs du CEA et de l’ICSM, de Jüllich et de Oak Ridge, et a pu aboutir grâce à l’implication sans faille des ingénieurs et techniciens CNRS de la plateforme SCALP/JANNuS-Orsay. Des polycristaux synthétiques de monazite (LaPO4) ont été irradiés séquentiellement et simultanément avec des ions hélium (He) et des ions or (Au). L’utilisation d’ions Au2+ à 1,5 MeV permet de simuler la perte d’énergie nucléaire du noyau de recul et les ions He+ à 160 keV simulent la perte d’énergie électronique libérée lors de l’éjection de la particule alpha dans une désintégration alpha. Ces expériences réalisées à température ambiante sur la plate-forme JANNuS-Orsay, grâce à l’association complexe et unique d’un Microscope Electronique en Transmission (MET) et de 2 accélérateurs (IRMA et ARAMIS) permettant l’étude et l’observation des co-irradiations in situ en temps réel avec le MET (photo). Ces expériences démontrent pour la première fois dans la monazite, l’existence d’un mécanisme de cicatrisation des défauts indépendant de la température, appelé recuit-alpha, déjà démontré dans l’apatite. L’auto-irradiation de la monazite est donc une compétition entre la création de défauts résultant des processus balistiques induits par les noyaux de recul, et la cicatrisation de ces défauts grâce au dépôt d’énergie électronique libérée par les particules alpha, et suffisante pour empêcher son amorphisation. Ce mécanisme de recuit-alpha, permet enfin d’expliquer pourquoi la monazite n’est jamais amorphe dans la nature, indépendamment de son histoire thermique. Ce mécanisme est d’importance en particulier en géochronologie et thermochronologie, puisqu’il implique, par exemple, que la température n’est pas l’unique paramètre à considérer pour le recuit des traces de fission, ou pour les interprétations U-Th/He faisant appel aux coefficients de diffusion, fortement dépendant de l’état structural du minéral. Enfin, ce mécanisme sera bénéfique et devra être pris en compte dans les modèles pour prédire le comportement à long terme des matrices céramiques de type monazite pour le conditionnement des déchets nucléaires.

Cette étude a pu être réalisée grâce à des financements CNRS et CEA (NEEDS) et au soutien d’un projet EMIR permettant l’accès à la plateforme JANNuS-Orsay.

 

Photo du montage expérimental couplant le MET du CSNSM à deux accélérateurs (IRMA et ARAMIS) de la plateforme JANNuS-Orsay. http://jannus.in2p3.fr/spip.php

 

Note(s):
  1. La température critique d’amorphisation est définie comme la température pour laquelle le matériau ne s’amorphise plus, même pour une très forte dose d’irradiation.
Source(s):

Seydoux-Guillaume A.-M., Deschanels X., Baumier C., Neumeier S., Weber W.J., and Peuget S. (2018). Why natural monazite never becomes amorphous: experimental evidence for alpha self-healing. Letter in American Mineralogist. doi.org/10.2138/am-2018-6447

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