La transition entre l’Archéen et le Protérozoïque coïncide avec le début de la tectonique des plaques telle que nous la connaissons aujourd’hui. Malgré son importance, la cause de cette transition reste méconnue. Une équipe de chercheurs du Laboratoire Magmas et Volcans (LMV/OPGC, UCA / CNRS / IRD / UJM), du Synchrotron SOLEIL et du Laboratoire des Conditions Extrêmes et Matériaux : Haute Température et Irradiation (CNRS) ont mesuré la courbe de fusion du manteau jusqu’à environ 700 km de profondeur, en utilisant la conductivité électrique et la diffraction des rayons X in situ. Ils observent la fusion à des températures 200 à 250 degrés plus basses que celles généralement acceptées pour la composition chimique du manteau primitif. Cela implique qu’une grande partie du manteau supérieur, entre 100 et plus de 400 km de profondeur, était partiellement fondue au cours de l’Archéen, lorsque le manteau était significativement plus chaud. Les chercheurs expliquent ainsi la transition entre une tectonique archéenne morcelée en petites plaques instables et une tectonique moderne à plus grandes échelles par une diminution du taux de fusion dans le manteau. Avec le refroidissement séculaire, la cristallisation finale du manteau supérieur aurait modifié radicalement la dynamique globale du manteau et son couplage avec les plaques tectoniques sus-jacentes.

 

Dans les premiers stades de la formation de la Terre, le manteau a été presque intégralement fondu jusqu’à de grandes profondeurs formant ainsi de profonds océan magmatiques. L’énergie nécessaire à cette fusion à grande échelle provenait d’une combinaison de grands impacts météoritiques, de la désintégration radioactive et de l’énergie gravitationnelle relâchée lors de la ségrégation du noyau. Les mécanismes de cristallisation des océans magmatiques et l’évolution thermique de la Terre primitive sont encore des sujets très discutés. Il ne fait cependant pas de doute que l’intérieur de la Terre reste encore très chaud aujourd’hui, avec des régions du manteau caractérisées par de faibles taux de fusion localisées dans des régions très spécifiques (ex : frontière manteau-noyau).

En parallèle, les études des terrains les plus anciens ont permis d’établir l’échelle des temps géologiques, avec en particulier des changements majeurs se produisant entre l’Archéen et le Protérozoïque il y a 2.5 milliards d’années. Cette transition correspond à la fin d’une lithosphère dominée par le jeu de petites plaques instables, et à l’initiation de la tectonique des plaques telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pourtant, la raison de ce changement majeur dans la dynamique de la lithosphère, et probablement du manteau dans son intégralité, reste très peu documentée.

Les chercheurs ont entrepris d’affiner notre connaissance de la fusion du manteau supérieur entre 100 km et 600 km de profondeur, ce qui correspond à des pressions entre 5 et 30 GPa. De part la complexité chimique du manteau, la fusion est progressive entre le solidus (apparition de la première fraction de liquide) et le liquidus (disparition des derniers cristaux). Le rôle de la pression dans la fusion mantellique n’était jusqu’à aujourd’hui bien connu que pour des profondeurs inférieures à 100 km, ou alors pour des compositions chimiques très simplifiées. Deux méthodes de détection in situ de la fusion ont été utilisées, la diffraction des rayons X sur l’anneau synchrotron de SOLEIL et la conductivité électrique au Laboratoire Magmas et Volcans. Les résultats s’accordent sur une fusion du manteau de 200-250 K en dessous des températures précédemment reportées.

Une implication majeure de ces résultats est que le manteau supérieur devait donc être partiellement fondu pour les températures régnant dans le manteau Archéen, et à fortiori au cours de l’Hadéen. Ces hautes températures sont suggérées par l’étude des compositions chimiques d’anciens basaltes et des Komatiites. Le degré de fusion du manteau au cours des premiers 2.5 milliards d’années de l’histoire de la Terre reste difficile a estimé précisément, car il dépend de nombreux paramètres. Néanmoins, l’extension du domaine partiellement fondu pourrait couvrir une large fraction du manteau supérieur. La fusion partielle a pu favoriser le découplage entre la lithosphère et le reste du manteau terrestre avant que plus tard, avec le refroidissement séculaire, la solidification finale du manteau produise un changement de dynamique globale, la subduction de la croute océanique et l’établissement de la tectonique des plaques moderne.

 

Figure: Le cœur de la presse multi-enclumes installée sur le synchrotron SOLEIL à Gif-sur-Yvette. Le faisceau de rayon X (illustré par le doigt) permet d’étudier la fusion de l’échantillon mantellique comprimé au centre des enclumes cubiques, jusqu’à une pression de plus de 250 000 atmosphères, soit plus de 670 km de profondeur dans le manteau.

 

Bibliographie

Deep and persistent melt layer in the Archaean mantle. D. Andrault, G. Pesce, G. Manthilake, J. Monteux, N. Bolfan-Casanova, J. Chantel, D. Novella, N. Guignot, A. King, J.P. Itié and L. Hennet. Nature Geoscience. Le 23 janvier 2018. DOI: 10.1038/s41561-017-0053-9.

 

Contacts

Chercheur l Denis Andrault l T 04.73.34.67.81 / 06 27 22 25 04 l denis.andrault@uca.fr

Presse INSU-CNRS l Géraldine Gondinet l T 01 44 96 43 36 l geraldine.gondinet@cnrs-dir.fr

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