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Les microcristaux, mémoire vive des volcans

Stupeur et tremblements. Le 11 septembre 2021, sous l’effet de milliers de secousses sismiques, le Cumbre Vieja

se réveillait. Durant quatre-vingt-quatre jours, ce volcan a semé la terreur sur l’île espagnole de La Palma, aux

Canaries. Les vulcanologues accoururent de toute l’Europe comme des enfants attirés par un pot de Nutella.

Parmi eux, l’Anglais Matthew Pankhurst, de l’Institut technologique et d’énergies renouvelables (Iter) de Santa

Cruz de Tenerife. Mais lui, ce n’était pas l’éruption qu’il était venu voir. Avec ses collègues de l’Iter, il a prélevé

de nombreux échantillons de lave pour y chercher des microcristaux. Curieux, à première vue. Mais beaucoup

plus compréhensible lorsqu’il nous explique : « Leur analyse nous est utile pour reconstituer les processus

physiques se déroulant à l’intérieur du volcan. Cela nous permettra, à l’avenir, de mieux prévoir les éruptions et

la manière dont elles évolueront. » Rien que cela !

 

L’intérêt pour les microcristaux volcaniques remonte déjà à quelques années. Ils se forment partout dans les

entrailles du volcan avec l’immense avantage pour les chercheurs d’emprisonner du gaz et des microgouttelettes

de magma. Ainsi, en analysant leur contenu, les vulcanologues peuvent se faire une idée exacte de la nature des

phénomènes physiques qui se produisent à l’intérieur des volcans. « Notamment sur la composition du manteau

source et les conditions pré-éruptives au sein de la chambre magmatique », explique Nicolas Cluzel, du

laboratoire Magmas et volcans de l’université Clermont Auvergne (CNRS).

Sous surveillance. Des scientifiques effectuent des prélèvements à proximité du cratère du Cumbre Vieja, le

30 décembre 2021.

 

Espions microscopiques. Dans sa thèse publiée en 2018, Hélène Balcone-Boissard, membre de l’Institut des

sciences de la Terre de Paris, précise : « Le “crystal cargo” émis lors d’une éruption garde en mémoire les

conditions de stockage et d’ascension du magma. La composition chimique des cristaux ainsi que la distribution

des éléments entre les cristaux et le liquide environnant nous renseignent sur les conditions physico-chimiques

de stockage du liquide (température, pression, composition). Enfin, les cristaux peuvent également piéger des

inclusions vitreuses dont le contenu en éléments volatils peut donner des indications quant à la localisation de la

zone de stockage du magma et son degré de saturation. »

 

Bref, grâce à ces espions microscopiques, le volcan n’a presque plus de secrets. Ils permettent notamment de

retracer exactement le parcours du magma depuis sa source, loin sous la surface de la Terre, jusqu’à son

éruption. Un trajet qui n’emprunte pas une cheminée centrale unique. La réalité est bien moins simple. Si on

découpait un volcan comme un gâteau, on découvrirait plusieurs réservoirs magmatiques reliés les uns aux autres

par un réseau complexe de fissures. Les vulcanologues parlent de « tuyauterie ».

 

Réservoir magmatique. Connaître l’emplacement des réservoirs magmatiques, leur taille, la consistance et la

vitesse d’écoulement du magma permet de déterminer si un volcan est endormi ou sur le point de cracher sa

colère. Car un réservoir peut mettre des centaines de milliers d’années pour se remplir de magma. Le

prélèvement de microcristaux durant les premières heures d’une éruption est aussi susceptible de fournir de

précieuses informations sur la suite des événements. Parmi les volcans ayant été ainsi auscultés, il y a le Vésuve.

Une éruption comme celle qui a détruit Pompéi et Herculanum menace aujourd’hui Naples et plus de trois

millions d’habitants à portée de laves et de nuées ardentes.

 

Et encore, l’éruption de l’an 79 n’est sans doute qu’un pétard mouillé comparée à des éruptions bien plus

anciennes ! Récemment, deux chercheurs de l’université de Zurich, après avoir analysé les microscopiques

grenats prélevés dans les laves des quatre dernières éruptions majeures, nous ont rassuré en aboutissant à la

conclusion que la prochaine grosse éruption ne se produirait pas avant plusieurs siècles. Apparemment, le

réservoir magmatique du Vésuve est, à l’heure actuelle, loin d’être suffisamment rempli pour provoquer une

éruption. L’avantage des microcristaux, c’est d’être éternels, ou presque. Ils conservent leurs précieuses

informations durant des centaines de millions d’années. Ce qui permet aux vulcanologues de retracer l’histoire

de chaque volcan depuis son apparition.

 

Horloges atomiques. Une autre nouvelle technologie pour mesurer la taille des chambres magmatiques fait

appel aux « horloges atomiques ». Développée par une équipe de l’université de Zurich, elle applique la théorie

de la relativité générale d’Einstein, selon laquelle une horloge bat moins vite en présence d’un objet massif.

Concrètement, les chercheurs installent plusieurs horloges atomiques autour du volcan. Les infimes différences

de temps mesuré entre elles leur permettent de suivre l’évolution de la masse interne du volcan, reflétant le

remplissage des poches magmatiques. D’autres technologies, en cours de développement, permettront d’affiner

encore les prévisions d’éruption. Mais pourront-elles être appliquées à tous les volcans ? Actuellement, quelque

1 500 volcans sont considérés comme actifs sur notre planète. La plupart sont situés dans des pays qui n’ont pas

encore les moyens de s’offrir une surveillance aussi sophistiquée. Les microcristaux représentent donc une piste

intéressante pour démocratiser la compréhension de notre Terre en colère§

Par Frédéric Lewino

https://www.lepoint.fr/sciences-nature/les-microcristaux-memoire-vive-des-volcans-28-08-2022-2487601_1924.php

 

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