Une équipe impliquant des chercheurs de six laboratoires français (dont le LMV) a reconstitué l’histoire de l’érosion de l’Antarctique de l’Est depuis 350 millions d’années (Ma). Cette étude démontre que l’érosion de l’Antarctique est pour l’essentiel très ancienne, elle remonte au Late Paleozoic Ice Age (LPIA), une grande période de glaciation datée de 340-300 Ma. Le relief est essentiellement hérité de cette époque, tandis que la calotte Antarctique a eu peu d’impact sur l’érosion au cours des 30 derniers Ma. 
 
Figure 1 : Synthèse des résultats obtenus : histoire thermique température-temps des échantillons collectés le long de la marge de Terre Adélie, modélisée à partir des données thermochronologiques traces de fission et U-Th-He sur apatite. APAZ : zone d’annihilation partielle des traces de fission et APRZ: zone de rétention partielle de l’hélium, dans les apatites. LPIA : Late Paleozoic Ice Age.
La compréhension de l’histoire de l’érosion de l’Antarctique est fondamentale pour comprendre les liens entre les dynamiques glaciaires et climatiques, et notamment le comportement futur de la calotte en réponse au réchauffement et son impact sur le niveau marin. La réponse de la surface continentale à l’érosion glaciaire demeure largement inconnue du fait de la couverture de l’Antarctique à plus de 99% par une calotte glaciaire de 2 à 3 km d’épaisseur. Les études géophysiques ont montré un relief sous-glaciaire complexe, interprété soit comme résultant d’épisodes tectoniques de rifting ou bien d’une érosion sous-glaciaire très importante.
Dans le cadre d’un projet Labex soutenu par l’université Grenoble Alpes, nous avons mené une étude thermochronologique sur des échantillons collectés sur 600 km le long des côtes de Terre Adélie. L’échantillonnage a été réalisé avec le soutien de l’IPEV depuis les années 2000 dans les campagnes GEOLETA et ARLITA. Les résultats de cette étude montrent qu’une exhumation homogène de l’ordre de 4 km a eu lieu à l’échelle de l’Antarctique de l’Est entre 340 et 300 Ma (Fig. 1). Ces données excluent une exhumation au cours du rifting permien (280-250 Ma) ou en liaison avec le rifting précédant l’ouverture de l’océan austral (160-90 Ma).
 
Figure 2 : Reconstitution de l’Antarctique de l’Est au Maximum glaciaire du LPIA (à environ 300 MA), basé sur les données thermochronologiques obtenues en Terre Adélie (cette étude) et celles obtenues ailleurs en Antarctique et Australie. Les positions de plusieurs grands glaciers sont proposées d’après les directions de flux glaciaires et les bassins périphériques. Un grand glacier : celui de Terre-Adélie-Georges V (TA-GV) explique l’érosion importante de l’Antarctique de l’Est alors qu’à 300 Ma le pôle Sud se situait à proximité de sa situation actuelle.
Cette érosion ne semble pas avoir de cause tectonique au regard de l’absence de déformation de cet âge à l’échelle de la Terre Adélie. Par contre, cette érosion est reliée à une phase glaciaire, celle du LPIA, qui coïncide avec l’abaissement significatif des teneurs en CO2 de l’atmosphère (entre 300 et 600 ppmV), et avec l’abaissement du niveau marin de l ‘ordre de -30 à -70 m. A cette époque le pôle sud était proche de ce qu’il est aujourd’hui (Fig. 2). La présence de masses glaciaires en Terre Adélie est corroborée par des bassins péri-glaciaires à l’Est et au nord du domaine étudié, et des paléo-directions d’écoulement glaciaires radiaires par rapport à celle-ci. La forte érosion qui est mise en évidence ici montre que la dynamique des glaciers à proximité du pôle pendant le LPIA était comparable à celle des glaciers tempérés à ‘base chaude’ comme aujourd’hui en latitude moyenne. La fin de cet épisode glaciaire est très rapide à 300 Ma, il est corrélé avec une dérive continentale conduisant à un décalage du pôle par rapport au continent.
De telles données montrent qu’il y a eu très peu d’érosion au tertiaire du fait d’une grande stabilité de la calotte glaciaire antarctique y compris dans les phases les plus chaudes depuis 33 Ma. Cela s’explique notamment par un mode de glissement interne à la calotte et à l’absence de friction basale caractéristiques des glaciers à base froide. Ceci suggère que la calotte antarctique pourrait également, à court terme, rester relativement stable et peu contribuer à l’élévation du niveau marin dans le contexte de réchauffement global. Nous devons désormais valider ce modèle par une étude des blocs de moraines transportés par les glaciers à l’échelle de l’Antarctique de l’Est.
Note(s):
Les laboratoires français impliqués sont l’Institut des sciences de la terre (ISTerre, CNRS/Université Grenoble Alpes/IRD/IFSTTAR/Université Savoie Mont Blanc), le Laboratoire Géoazur (UNS/CNRS/OCA/IRD), le Laboratoire magmas et volcans (LMV, CNRS/Université Blaise Pascal/Université Jean Monnet St-Étienne/IRD), le Laboratoire environnements, dynamiques et territoires de la montagne (EDYTEM, CNRS/UDS), le Laboratoire chrono-environnement (Université de Franche-Comté/CNRS) et le Laboratoire Geosciences Paris Sud (GEOPS, CNRS/UPSUD).
Source(s):

Rolland, Y., Bernet, M., van der Beek, P., Gautheron, C., Duclaux, G., Bascou, J., Balvay, M., Héraudet, L., Sue, C., Ménot, R.-P. (2019)Late Paleozoic Ice Age glaciers shaped East Antarctica landscape, Earth and Planetary Science Letters, doi: 10.1016/j.epsl.2018.10.044

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