Une étude menée par des chercheurs de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) en collaboration avec l’Université de Clermont Auvergne, ETH-Zurich, et deux universités nord-américaines (MIT et Université de Waterloo, Canada) présente des arguments qui suggèrent que la tectonique des plaques (induite par la subduction) et la précipitation des carbonates océaniques ait commencé il y a plus de 4 milliards d’années. Par arriver à ces conclusions les chercheurs ont analysé les isotopes du calcium dans des granites typiques des continents archéens (TTG = tonalite-trondhjemite-granodiorite) ainsi que dans des adakites qui sont des produits de fusion partielle de la plaque océanique plongeante et interprétés comme des équivalents éruptifs actuels des TTG.
La Terre est la seule planète connue dans notre système solaire avec une tectonique de plaques active et une croûte continentale différenciée (teneur élevée en silice). De nombreux phénomènes géologiques modernes, tels que les tremblements de terre et les éruptions volcaniques, sont le résultat de processus liés à la tectonique des plaques où les continents dérivent latéralement au fil du temps suite à l’expansion des fonds océaniques qui prend fin lorsque ceux-ci deviennent trop dense et entre en subduction. Ces zones de subduction sont actuellement responsables de la formation de nouvelle croûte continentale, où l’augmentation des températures à de plus grandes profondeurs déclenche la déshydratation de la croûte océanique plongeante et la fusion partielle concomitante des roches mantelliques sus-jacentes (comme on peut l’observer par les volcans entourant l’océan Pacifique moderne, communément appelé « ceinture de feu »). Il existe cependant un flou majeur concernant l’âge de démarrage de la tectonique des plaques et, par conséquent, si elle a été responsable de la formation des continents les plus anciens durant l’Archéen (entre -4,0 et -2,5 milliards d’années).
Les fragments continentaux les plus anciens découverts à ce jour sont âgés de 4 milliards d’années et sont principalement composés d’un type de granite très courant à l’Archéen, mais absent des continents post-archéens, connus sous le nom de TTG (tonalite-trondhjemite-granodiorite). Compte tenu de leur âge avancé, les TTG constituent la principale source d’information sur les processus ayant eu cours sur la Terre primitive. Pourtant, on ne sait toujours pas si ces roches ignées riches en silice se sont formées d’une manière analogue à celle d’aujourd’hui (lors de la subduction à haute température de la croûte océanique hydratée) ou si elles se sont formées sans subduction, lors de la fusion à la base d’épais plateaux océaniques (par exemple, l’actuel Ontong Java). Ainsi, il n’y a pas de consensus sur le contexte géologique de formation de ces roches et donc sur la géodynamique archéenne. Il s’agit pourtant d’une question fondamentale, car (i) les zones de subduction jouent un rôle clé pour de nombreux cycles géochimiques de surface (comme le cycle du carbone) et (ii) l’émergence des continents est intimement liée à l’évolution des océans, de l’atmosphère et de la vie sur Terre.
Grâce à la mesure des isotopes du calcium et à des techniques de modélisation de l’équilibre des phases, une étude menée par des chercheurs de l’Institut de Physique du Globe de Paris, en collaboration avec l’Université de Clermont Auvergne, ETH-Zurich, et deux universités nord-américaines (MIT et Université de Waterloo, Canada), a montré que les TTG ont été produits dans des gradients géothermiques compris entre 500 et 750°C/GPa (équivalent à environ 15 – 20°C/km). Ces gradients géothermiques sont les mêmes que ceux observés dans les zones de subduction (chaudes) modernes, mais sont beaucoup plus faibles que ceux attendus pour la fusion à la base des plateaux océaniques épais, ce qui suggère fortement que des processus similaires à la tectonique des plaques actuelle existaient il y a au moins 4 milliards d’années. De plus, cette étude trouve des preuves solides de l’incorporation de sédiments carbonatés océaniques dans des TTG de 3,8 milliards d’années, précédant de 100 millions d’années les unités carbonatées océaniques les plus anciennes préservées aujourd’hui. Cette découverte est aussi particulièrement importante car on pense que l’atmosphère primitive de la Terre contenait des niveaux élevés de dioxyde de carbone d’origine volcanique afin de compenser la faible luminosité du soleil primitif (alias » faint young sun « ) et d’expliquer la présence d’eau liquide à la surface de la Terre il y a 4,4 milliards d’années. Cependant, l’absence de carbonates préservés de cette époque et le fait que la Terre ne ressemble pas à Vénus (ce qui serait le cas s’il n’y avait pas de puits pour le dioxyde de carbone atmosphérique) ont conduit les chercheurs à se demander si le dioxyde de carbone était le gaz à effet de serre responsable des conditions clémentes sur la Terre primitive. Les traces isotopiques des sédiments carbonatés dans les magmas TTG suggèrent donc que la précipitation des carbonates se serait produite avant les plus anciennes unités carbonatées connues, ce qui donne du poids aux modèles atmosphériques exigeant des niveaux élevés de dioxyde de carbone atmosphérique pour compenser la faible luminosité du jeune soleil.
En résumé, cette étude confirme que la tectonique des plaques et la précipitation de carbonates océaniques ont commencé à se produire il y a plus de 4 milliards d’années, ajoutant ainsi un élément de preuve essentiel au nombre croissant d’indices géochimiques suggérant que la tectonique des plaques et le cycle silicate-carbonate ont commencé bien plus tôt qu’on ne le pensait auparavant.
Lien pour télécharger l’article complet : Antonelli et al., 2021
Bibliographie
Antonelli, A. A., Kendrick J., Yakymchuck, C., Guitreau, M., Mittal, T., Moynier, F. (2021). Calcium isotope evidence for early Archaean carbonates and subduction of oceanic crust. Nature Communications 12, 2534.
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